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    The Husky and His White Cat Shizun - Chapitre 1

    Taxian-Jun

     

    Chapitre 1 : La mort du vénérable

     

     

    >> avertissement : suicide

    Trad par Alcancia; Relecture par Lysuje

     

    Avant que Mo Ran ne devienne empereur, il y avait toujours une personne pour le traiter de chien.

     

    Le responsable l'appelait "fils de pute", les clients le nommaient "chien", son petit cousin le surnommait "chien de merde" et sa mère, une des meilleures, disait même qu'il avait été élevé par une chienne.

     

    Bien sûr, il y avait d'autres métaphores en rapport avec les chiens, qui, quant-à elles, n'étaient pas autant grossières. Par exemple, ses coups d'un soir se plaignaient toujours que la force de son dos était comme celle d'un chien. Ses lèvres mielleuses attiraient une âme. L'arme en bas, quant-à-elle, lui dérobait la douceur de sa vie. Mais, après coup, ils partaient et allaient se vanter auprès des autres, si bien que tout le district savait que Mo Weiyu était aussi beau en apparence qu'agressif en action ; ceux qui y avaient goûté étaient satisfaits de leur repas, quant-aux autres, ils étaient mortellement tentés.

     

    Il faut dire que tout ces surnoms lui allaient bien. Mo Ran était vraiment comme un stupide chien qui agitait la queue. Ce n'est que lorsqu'il devint l'empereur du monde de la cultivation que ce genre de surnoms disparut en une fraction de seconde.

     

    Un jour, une petite secte d'une terre lointaine lui offrit un chiot.

    Le chiot avait un pelage gris blanchâtre, trois taches en forme de flammes sur le front, un peu comme un loup. Mais il n'était pas plus gros qu'un melon et semblait plutôt stupide, grassouillet et rondelet. Néanmoins, il se sentait puissant en courant à travers le grand hall avec désinvolture. 
    De nombreuses fois, il essaya de monter les immenses marches pour voir clairement la personne qui s'asseyait calmement sur le trône. Pourtant, à cause de ses petites pattes, il abandonna finalement ses efforts.
    Mo Ran regarda la boule de poils qui possédait plus d'énergie que d'intelligence et ricana soudainement en le surnommant "Chien de merde".

    Le chiot grandit vite et devint un gros chien; le gros chien devint un vieux chien, et le vieux chien devint un chien mort.

     

    Mo Ran ferma les yeux, puis les rouvrit en papillonnant des paupières. Sa vie était autant remplie de prestiges que de hontes, de hauts que de bas. Avant qu'il ne s'en aperçoive, trente-deux ans étaient passés.
    Il était fatigué de jouer. Tout lui semblait âpre et ennuyeux, et pendant les dernières années, il y avait de moins en moins de personnes qu'il connaissait à ses côtés ; même le chien aux trois flammes avait passé l'arme à gauche. C'est l'heure, pensa-t-il. L'heure de tout finir.

     

    Il cueillit un grain de raisin brillant et charnu, puis pela langoureusement sa peau violette.
    Ses mouvements étaient faciles et aguerris, comme le Roi Yu dans son camp qui effeuillait la robe de la Princesse Hu, mais paresseux comme s'il était fatigué de tout. Le fruit luisant frémit légèrement au bout de ses doigts; son jus violet jaillit et coula délicatement, comme une oie sauvage glissant sur les falaises rouges, comme les fleurs de Haitang entrant en sommeil.
    Mais surtout comme du sang répugnant.

     

    Il fixait ses propres doigts alors qu'il glissait cette douceur incomparable dans sa bouche, puis il ouvrit les yeux paresseusement. Il est temps, pensa-t-il. C'est le moment d'aller en enfer.

     

    Mo Ran, de son nom de courtoisie Weiyu, était le premier empereur du monde de la cultivation. Ce n'était vraiment pas facile d'atteindre cette position. Les conditions nécessaires à l'obtention de ce titre n'étaient pas uniquement d'avoir des pouvoirs spirituels exceptionnels. Il avait aussi besoin d'une fine peau aussi solide et dure qu'une météorite.

    Avant lui, les dix meilleures sectes du monde de la cultivation divisèrent le monde en territoires et se battirent les unes contres les autres pour s'accaparer les terres. À cause des disputes entre les différentes sectes, personne ne dirigeait et le monde et prenait toutes les décisions. Qui plus est, chaque chef de secte était remarquablement instruit, de sorte que s'ils voulaient s'accorder un titre pour le plaisir, ils se méfiaient de ce que les historiens pouvait écrire, de peur d'être déshonorés dans leurs écrits.

    Mais Mo Ran était différent. Il était sans scrupules. 
    Quand les autres n'osaient rien, lui le faisait. 
    Comme boire le vin le plus épicé du monde entier ou encore se marier avec la plus belle femme au monde. Pour commencer, il devint "Taxian-Jun", le leader de l'Alliance du monde de la cultivation, puis il s'accorda le titre d'empereur.

     

    Ils s'agenouillèrent et cédèrent tous devant lui.
    Ceux qui refusèrent de plier le genou furent massacrés un par un, sans exception. Durant la première année de son intronisation, un torrent de sang coula et les pleurs endeuillés furent omniprésents. D'innombrables personnes honorables se sacrifièrent, et même la secte Rufeng, une des Dix Grandes Sectes, fut entièrement décimée.

     

    Plus tard, même l'honorable maître de Mo Ran ne put échapper à ses griffes démoniaques. Durant la bataille finale les opposant, il fut vaincu et fait prisonnier dans le palais de son disciple autrefois bien aimé. Depuis, nul ne sait où il se trouve.

    Le pays, autrefois connu pour ses rivières claires et ses mers calmes, a soudain été étouffé par le brouillard et la brume.

     

    L'Empereur Chien Mo Ran ne lisait pas beaucoup de livres et c'était une personne qui n'avait peur de rien. Alors, quand il arriva au pouvoir, le monde ne fut jamais à court d'affaires ridicules. Comme par exemple, les titres de ses années de règne.

     

    Ses trois premières années de règne furent baptisées "Wang Ba"1 Il y pensa en nourrissant les poissons au bord de l'étang. Les trois années suivantes furent nommées "Croa", parce qu'il entendit des grenouilles croasser dans le jardin durant l'été. Il considéra que c'était une inspiration donnée par les cieux et qu'il ne pouvait l'ignorer.
    Tous les savants du pays pensaient qu'il ne pourrait pas exister d'autres titres plus tragiques que "Wang Ba" et "Croa" mais, hélas, ils n'avaient pas cerné Mo Ran.

     

    Au cours des trois dernières années, des troubles au sein de la population commencèrent à ébranler diverses régions locales. Des bouddhistes, des taoïstes, ou encore des cultivateurs, ceux qui ne pouvaient pas supporter la violence, tous se soulevèrent et fomentèrent une rébellion.

    Ainsi, cette fois, Mo Ran réfléchit longuement et après avoir jeté de nombreux brouillons, un titre, capable de secouer les cieux et de faire pleurer fantômes et dieux, naquit : "Cessez la bataille"2.

     

    Le titre avait au départ une bonne connotation. Le premier empereur avait usé de toute son intelligence pour trouver ces trois mots, tirés de l'idiome hasardeux "Cessez la combat, Repos des troupes".
    Seulement, quand ils étaient prononcés à voix haute par le peuple, c'était extrêmement malaisant. Surtout pour les illettrés, entendre ce titre était encore plus gênant.

    La première année fut appelé la "Première année de Cessez la bataille"3, mais pourquoi est-ce que ça sonnait étrangement comme "L'année des bites et des couilles ?"
    La deuxième année fut nommée la deuxième année des bites.
    La troisième, Bite.

     

    Certaines personnes le maudissaient une fois les portes closes, "Quelles conneries ! Pourquoi ne pas donner le titre "Ji Ba Chen" aussi ! La prochaine fois que vous verrez un homme, il n'y aura plus besoin de lui demander son âge, il suffira de lui demander quel âge a sa bite ! Les maîtres centenaires pourront désormais être appelés "Bite Centenaire !"

    Finalement, ces trois années passèrent difficilement, et il fut enfin temps de remplacer le titre annuel "Ji Ba".

     

    Les personnes du monde entier attendaient anxieusement de voir ce que Sa Majesté l'Empereur souhaiterait comme quatrième titre. Mais cette fois, Mo Ran n'eut pas à prendre la peine de trouver un nom. Cette année-là, les émeutes qui grondaient dans le monde de la cultivation éclatèrent finalement.
    Enfin, après avoir enduré une décennie, les personnes honorables, les héros et les hommes vaillants se rassemblèrent et formèrent une armée de millions de personnes, qui fonça sur le Premier Empereur Mo Weiyu. 
    Le monde de la cultivation n'avait vraiment pas besoin d'un empereur. Encore moins d'un tyran de ce genre.

     

    Après plusieurs mois de batailles inondées de sang, l'armée rebelle arriva finalement au pied du Pic Sisheng. Cet endroit était situé dans la province de Sichuan, sur de périlleuses falaises, couvertes d'une mer de nuages et de brume tout au long de l'année. Le grand et majestueux palais de Mo Ran gisait à son sommet.

     

    Il était trop tard pour faire demi-tour et le renversement de la tyrannie n'était qu'à un pas. 
    Cependant, cette dernière frappe fut également la plus traître. Alors que la lueur d'espoir de la victoire dansait devant leurs yeux, des désaccords naquirent au sein de l'armée alliée qui s'était rassemblée pour combattre le même ennemi. Avec l'anéantissement de l'ancien empire, un nouveau régime devait être mis en place. Personne ne voulut gaspiller inutilement ses forces à cet instant crucial, et donc personne ne voulut prendre la tête des lignes de front et charger les montagnes en premier.

     

    Ils avaient tous peur que le vicieux et rusé tyran tombe soudainement du ciel, telle une bête dévoilant ses dents blanches et brillantes, déchiquetant et mettant en pièces tous ceux qui oseraient entourer et détruire son palais. 
    Certains dirent avec une expression sombre, "Mo Weiyu a de grands pouvoirs spirituels et il est rusé. Nous devons être prudents pour ne pas tomber dans ses pièges."
    Et tous les chefs approuvèrent.

     

    Au même moment, un jeune homme extrêmement beau et tape-à-l'oeil s'avança. Il portait un ensemble d'armure bleu argenté, une ceinture décorée d'une tête de lion, ses cheveux étaient rassemblés en une queue de cheval haute ornée d'une exquise épingle à cheveux, elle aussi en argent piqué aux racines. L'expression de ce jeune homme était extrêmement sombre.

     

    - Nous sommes déjà arrivés au pied de la montagne, qu'attendons-nous pour monter ? demanda-t-il. Attendez-vous que Mo Weiyu descende de lui-même ? Quelles bandes de chats effrayés !

     

    La rage explosa tout autour à cause de ses mots.

     

    - Quels abus, jeune maître Xue ! Qu'entendez-vous par chats effrayés ? Un soldat se doit de toujours être extrêmement prudent. Si nous étions tous effrontés et imprudents comme vous, qui serait responsable si un accident se produisait ?

     

    - Haha, jeune maître Xue est le chéri des cieux, se moqua instantanément un autre. Nous, nous ne sommes que de simples roturiers. Si le chéri des cieux est si impatient de combattre l'empereur du royaume mortel, alors je vous en prie, rejoignez de la façon que vous souhaitez le haut de la montagne. Quant-à-nous, nous préparerons un festin ici, au pied de la montagne, en attendant votre gracieux retour avec la tête de Mo Weiyu. N'est-ce pas une bonne idée ?

     

    C'était un commentaire plutôt grave. Un des anciens moines de l'alliance arrêta immédiatement le jeune homme qui semblait sur le point d'exploser, et d'une expression folklorique, il l'amadoua d'une douce voix :

     

    - Jeune maître Xue, écoutez ce vieux moine. Il sait que vous et Mo Weiyu partagez une profonde rancune personnelle. Toutefois, l'invasion du palais est une affaire capitale. Vous devez penser à tout le monde, ne laissez pas vos émotions s'immiscer.

     

    Celui que tout le monde nommait "Jeune Maître Xue" s'appelait Xue Meng. Il y a de cela une décennie, il était salué par tous comme un jeune génie, le bien aimé des cieux. 
    Cependant, comme tout change avec le temps, il devait maintenant supporter les railleries et les humiliations de ces mêmes personnes, ne serait-ce que pour gravir cette montagne pour voir une fois de plus le visage de Mo Ran. 

     

    Le visage de Xue Meng se tordit de colère, ses lèvres tremblèrent, mais il continua de se contenir ardemment en exigeant :

     

    - Combien de temps comptez-vous attendre au juste ?

     

    - Nous devons au moins observer s'il y a du mouvement, non ?

     

    - Oui, et si Mo Weiyu avait posé des pièges ?

     

    Le vieux moine qui était intervenu comme médiateur un peu plus tôt insista également :

     

    - Jeune maître Xue, ne soyez pas impatient. Puisque nous sommes déjà au pied de la montagne, le mieux que nous ayons à faire est d'être prudent. Quoi qu'il en soit, Mo Weiyu est pris au piège dans son palais et il ne peut pas en descendre. Maintenant qu'il est à court de solutions, il n'arrivera rien. Pourquoi devrions-nous donc nous montrer impatients et inconscients ? Nous sommes si nombreux, avec de nombreux nobles et de proéminentes figures parmi nous, que s'ils perdaient la vie par accident, qui en serait responsable ?

     

    - Responsable ? explosa de rage Xue Meng. Laissez-moi alors vous demander, qui est responsable de la vie de mon Shizun ? Mo Ran a emprisonné mon Shizun pendant dix ans ! Avec Shizun en haut de cette montagne devant moi, comment pouvez vous me demander d'attendre ?

     

    En entendant Xue Meng mentionner son Shizun, la foule ressentit un flot de honte.
    Certains avaient honte, d'autres regardaient à gauche et à droite et murmuraient mais personne n'osait élever la voix.

     

    - Il y a dix ans, Mo Ran s'est nommé lui même Taxian-Jun. Non seulement il a exterminé les soixante-douze forteresses de la secte Rufeng, mais il avait aussi prévu d'annihiler le reste des Dix Grandes Sectes. Plus tard, quand Mo Ran s'est auto-proclamé empereur, il a voulu éradiquer toutes les maisons. Finalement, dans ces deux désastres, qui l'a arrêté ?

     

    Si mon shizun n'avait mis sa vie en jeu, seriez-vous tous en vie actuellement ? Comment pouvez vous rester 

    ici et me parler comme si de rien n'était ?

     

    - Si mon shizun n'avait mis sa vie en jeu, seriez-vous tous en vie actuellement ? Comment pouvez vous rester ici et me parler comme si de rien n'était ?

     

    Finalement, quelqu'un s'est éclairci la voix et dit doucement :

     

    - Jeune maître Xue, ne vous énervez pas. Concernant Chu-Zongshi4, nous... nous sentons tous coupables et reconnaissants. Comme vous venez de le dire, il a été emprisonné il y a dix ans, donc si quelque chose devait arriver, ça serait déjà fait... Alors, si vous avez déjà attendu dix ans, patienter encore un peu ne vous fera pas de mal, vous ne croyez pas ?

     

    - Ce que j'en pense ? Je pense que c'est des conneries ! s'emporta-t-il.

     

    - Pourquoi criez-vous comme ça ? demanda-t-il en écarquillant des yeux.

     

    - Pourquoi je ne vous crierais pas dessus ? Shizun a mis sa vie en jeu pour sauver votre... Votre...

     

    Il ne put continuer, un sanglot lui enserrant la gorge

     

    - Je suis écœuré pour lui, finit-il par prononcer.

     

    Vers la fin, Xue Meng détourna la tête, ses épaules tremblant légèrement, et retint ses larmes.

     

    - Ce n'est pas comme si nous avions dit que nous n'allions pas sauvé Chu-Zongshi...

     

    - Oui, on se souvient tous de ce que le bon Chu-Zongshi a fait pour nous, nous n'avons jamais oublié. Jeune maître Xue, vous nous accusez d'être des ingrats injustes, nous ne pouvons le supporter !

     

    - Mais en parlant de ça, Mo Ran ne serait pas le disciple de Chu-Zongshi ? murmura quelqu'un. Je dois dire qu'en tant que maître, il devrait être responsable des crimes de son disciple. Comme on dit, le père est fautif si son fils est indiscipliné. Un fils mal éduqué est dû à la négligence de son professeur. On n'y peut rien, alors pourquoi se plaindre ?

     

    Ça, c'était dur, et quelqu'un cria instantanément :

     

    - Quelles conneries racontes-tu ? Surveille ta langue !

     

    Et alors, il se tourna vers Xue Meng pour le consoler avec un visage avenant :

     

    - Jeune maître Xue, ne soyez pas impatient...

     

    - Comment ne pas être impatient ? le coupa Xue Meng, les yeux exorbités. Ça ne vous concerne pas donc ça ne vous blesse pas, mais c'est mon shizun ! Le mien !!! Je ne l'ai pas vu depuis des années ! Je ne sais même pas s'il est vivant ou mort, ou comment il va ! Pourquoi croyez vous que je suis là ?

     

    Sa respiration était hachée, le bord des yeux rougi.

     

    - Pensez vous qu'en restant ici, Mo Weiyu descendra de la montagne et posera de lui-même un genou à terre pour vous demander grâce ?

     

    - Jeune maître Xue...

     

    - En dehors de Shizun, je n'ai plus de famille en ce monde.

     

    Xue Meng se libéra de l'emprise du vieux moine sur ses manches et croassa :

     

    - Si vous n'y allez pas, alors j'irai moi-même.

    Tout en lâchant ça, il gravit la montagne seul; Un homme, une épée.

     

    A travers les hurlements des vents froids, sombres et humides, mêlés de millions de feuilles, le brouillard épais se glissait à travers les arbres, comme d'innombrables fantômes en colère et esprits en peine, murmurant à voix basse.
    Xue Meng atteignit seul le sommet. Le majestueux palais de Mo Ran était éclairé dans la nuit noire par de calmes bougies. Soudainement, il vit devant la Tour Perce-Ciel, trois tombes. Alors qu'il s'approchait pour les regarder de plus près, il vit gravé sur la première tombe envahie de mauvaises herbes, des mots tordus et tenaces : "Tombe de la Concubine Chu Noble et Chaste".
    Contrairement à la "Concubine Chu fumée"(5), la seconde sépulture avait été creusée récemment, le terre venant d'être retournée, et dessus était inscrit : "Tombe de l'Impératrice Song Frite".

     

    Il y a plus de dix ans, Xue Meng en aurait ri malgré lui en voyant une chose aussi ridicule.
    A l'époque, lui et Mo Ran étaient des disciples du même shizun, et Mo Ran n'était rien d'autre que le clown de la classe. Même si Xue Meng ne l'aimait plus depuis longtemps, il continuait à le taquiner de temps en temps pour se moquer de lui.

     

    Qui sait ce qu'était cette "Concubine Fumée" et cette "Impératrice Song Frite". Le Savant Mo avait peut-être voulu honorer ses deux épouses avec des traits d'esprits similaires aux "Wang Ba", "Croa" et "Cessez la bataille". Cependant, la raison pour laquelle il avait donné ces surnoms à ses propres impératrices, était inconnue de tous.

     

    Xue Meng se tourna vers la troisième tombe.
    Sous le ciel nocturne, cette tombe n'était pas encore recouverte. Elle contenait un cercueil sans corps, et la pierre tombale n'était pas encore gravée. Devant, se trouvait un petit pot de Vin Blanc de Fleur de Poirier, un bol de wontons épicés froids et quelques assiettes d'accompagnements épicés.Tous, des plats favoris de Mo Ran.

     

    Xue Meng, stupéfait, fixait la tombé et, soudain, il se demanda si Mo Ran avait au moins eu l'intention de se battre. Aurait-il déjà creusé sa propre tombe, prêt à mourir ?
    Un frisson glacé le traversa. Il ne pouvait y croire.
    Mo Ran avait toujours été quelqu'un qui ne connaissait pas la fatigue, même aux portes de la mort. Il ne savait pas abandonner, et en considérant toutes ses actions, il aurait été capable de combattre l'armée rebelle jusqu'à la fin, donc pourquoi aurait-il fait ça...

     

    Ces dix dernières années, Mo Ran avait les pleins pouvoirs. Qu'avait-t-il vu exactement ? Que s'était-il passé ? Personne n'en savait rien. 
    Xue Meng se détourna et entra à nouveau dans la noirceur de la nuit, marchant à grands pas vers le Palais Wushan fortement éclairé.

     

    Pendant ce temps, au Palais Wushan, les yeux de Mo Ran étaient résolument fermés, son visage d'un teint cadavérique. Xue Meng avait raison. Mo Ran était déterminé à mourir. Il avait creusé lui-même sa propre tombe. 
    Deux heures auparavant, il avait renvoyé ses serviteurs à l'aide d'un sort de communication, pendant qu'il avalait un poison mortel. Sa cultivation était excellente, les effets du poison agiraient donc lentement dans son corps. L'agonie qui suivit fut démultipliée par la sensation de ses organes internes rongés inexorablement.

     

    La porte du hall s'ouvrit dans un crissement.
    Mo Ran ne prit pas la peine de lever les yeux, il haleta simplement :

     

    - Xue Meng. C'est toi, n'est-ce pas ? Tu es venu ?

     

    Xue Meng se tenait fièrement debout sur les pavés dorés du hall, sa queue de cheval tombant avec raideur dans son dos, son armure légère scintillante. Les deux disciples de la même secte étaient enfin réunis après tout ce temps. 
    Mo Ran, quant-à-lui, était assis penché, le menton relevé, l'expression vide et ses cils fins baissés, tel un rideau épais, devant ses yeux. Tout le monde savait qu'il était un démon monstrueux, mais en réalité, il était plutôt beau. La courbe de son nez était douce et délicate, ses lèvres fines et rosées, il irradiait naturellement la gentillesse et la douceur. 
    En regardant son visage, tout le monde pourrait penser que c'était une personne adorable et aimable.

     

    Quand Xue Meng vit son visage, il sut tout de suite que Mo Ran avait pris du poison comme il le suspectait. C'était dur de départager ses sentiments, et quand il ouvrit la bouche, aucun mot ne sortit. Finalement, il serra les poings et demanda seulement :

    - Où est Shizun ?

     

    - ...Quoi ?

     

    - Je t'ai demandé où est Shizun ??? s'exclama vivement Xue Meng. Ton, mon, notre Shizun !!!

     

    - Oh. soupira faiblement Mo Ran.

     

    Finalement, il cligna lentement des yeux, ses pupilles noires, tachetées de violet, se posèrent sur Xue Meng et il laissa affluer les souvenirs du passé.

     

    - Maintenant que j'y pense, ça va maintenant faire cinq ans que vous ne vous êtes pas vus, toi et shizun. En fait, depuis vos adieux au Palais Taxue sur le mont Kunlun...

     

    Mo Ran sourit faiblement en parlant :

     

    - Xue Meng, il te manque ?

     

    - Arrête de dire n'importe quoi ! Rends-le moi !

     

    Mo Ran le regarda calmement en contenant la douleur tortueuse de son estomac. Alors qu'il reposait lourdement sur son trône, ses lèvres se tordirent soudainement quand il fut pris d'un ricanement.

     

    Ses yeux se brouillèrent, des vagues de noirceur envahirent sa vision. Il pouvait sentir ses entrailles se déchirer, fondre et se dissoudre en une puanteur sanglante.

     

    - Te le rendre ? C'est ridicule, répondit Mo Ran nonchalamment. Pourquoi tu ne réfléchirais pas un peu ? Pourquoi aurais-je laisser vivre Shizun alors que nous partagions une haine profonde ?

     

    - Toi... ! Le sang déserta le visage de Xue Meng, ses yeux exorbités, alors qu'il reculait. Tu n'as pas pu... Tu n'aurais pas...

     

    - Je n'aurais pas fait quoi ? ricana Mo Ran. Pourquoi tu n'oses pas continuer ?

     

    La voix de Xue Meng trembla.

     

    - Mais c'est ton... C'est ton Shizun... Comment as-tu pu le tuer ??

     

    Il leva les yeux vers Mo Ran, assis au dessus de lui sur le trône de l'empereur. Aux cieux siégeait Fuxi, aux enfers Yanluo, et dans le monde mortel, il y avait Mo Weiyu.
    Mais pour Xue Meng, même si Mo Ran était devenu l'éminent empereur du monde mortel, il n'aurait pas dû devenir comme ça.

     

    Xue Meng tremblait de tout son être, ses joues inondées de larmes d'indignation.

     

    - Mo Weiyu, es-tu vraiment encore humain ? Une fois, il a...

     

    Mo Ran leva silencieusement les yeux.

     

    - Une fois il a fait quoi ? 

     

    - Tu sais très bien comment une fois il t'a traité... répondit Xue Meng, la voix tremblante.

     

    Mo Ran rigola soudainement.

     

    - Essaies-tu de me rappeler qu'une fois il m'a battu si violemment que j'étais couvert de sang, puis qu'il m'a fait agenouillé devant tout le monde pour me faire admettre mes crimes ? Ou encore qu'une fois, pour toi et pour des personnes sans importance, il s'est mis en travers de mon chemin et a ruiné mes efforts ?

     

    Xue Meng secoua péniblement la tête.

     

    - Non Mo Ran. Réfléchis bien. Lâche ta haine vicieuse, et rappelle-toi.
    Il t'a entraîné, a pratiqué les arts martiaux et t'a protégé. il t'a appris à lire et à écrire, à écrire de la poésie et à peindre. Il a appris, pour toi, à cuisiner si maladroitement que ses mains étaient couvertes de coupures.
    Une autre fois... Il a attendu ton retour, jour et nuit, seul, de la tombée de la nuit jusqu'à l'aube."

     

    Xue Meng, finit par sangloter, les mots coincés dans sa gorge, 

     

    - Il... Il avait un mauvais caractère, et ses mots étaient durs, mais malgré tout, tu sais qu'il t'a toujours bien traité, donc pourquoi... Comment tu as pu...

     

    Xue Meng releva la tête en retenant ses larmes, sa gorge se serra tellement qu'il ne put rien ajouter de plus. Il y eu un long silence avant que Mo Ran soupire :

     

    - Oui. Mais Xue Meng, est-ce que tu le sais ? La voix de Mo Ran semblait clairement fatiguée. Il a aussi mis fin à la vie de la seule personne que j'ai aimée. La seule.

     

    Un silence de mort s'imposa. La douleur de son estomac était comme un feu ardent, son sang et sa chair étaient déchiquetés en lambeaux.

     

    - Pourtant, nous étions maître et disciple. Son corps repose dans le Pavillon du Lotus Rouge dans le Pic Sud. Il est couché parmi les fleurs de lotus, si bien conservé qu'il paraît dormir. 

     

    Mo Ran reprit son souffle et se força à se calmer. Alors qu'il continua, sans expression, mais malgré tout, ses doigts s'enfonçaient dans le bois en palissandre du long bureau, ses phalanges pâlirent au point d'être meurtries.

     

    - Son corps est maintenu grâce à mes pouvoirs spirituels. S'il te manque, ne gaspille pas ta salive avec moi, vas-y avant que je ne meurs.

     

    Une boule âcre atteignit sa gorge, fit tousser Mo Ran de nombreuses fois. Alors qu'il ouvrit à nouveau la bouche, du sang s'échappa de ses lèvres et inonda ses dents. Pourtant, ses yeux étaient encore vifs.

     

    - Va, dit-il d'une voix rauque. Va le voir. Si tu arrives trop tard et que je meurs, mes pouvoirs spirituels disparaîtront et il tombera en poussière.

     

    Puis, il ferma les yeux avec regrets, le poison attaquant son coeur, tourmenté par un feu ardent. L'agonie devint si déchirante que même les gémissements déchirants et désespérés de Xue Meng devinrent lointain, comme s'il y avait un océan qui s'était étendu sur des milliers de kilomètres entre eux, et sa voix semblait venir du fond des eaux. Le sang continuait à couler au coin de ses lèvres, et Mo Ran serrait ses manches fermement, ses muscles se crispant. 
    Quand il ouvrit ses yeux larmoyants, Xue Meng était parti depuis longtemps. Le qinggong6 de cet enfoiré n'était pas mauvais; ça ne devrait pas lui prendre longtemps de rejoindre le Pic Sud. 
    Il pourrait revoir Shizun une dernière fois.

     

    Mo Ran se releva en vacillant. Il forma un sceau, avec ses mains rougies par la sang, pour se téléporter à l'avant de la tour Perce-Ciel du Pic Sisheng.
    L'automne était bien avancé. Les fleurs Haitang étaient magnifiquement épaisses et flottaient au vent. Il ne savait pas pourquoi il avait finalement choisi ce lieu pour mettre fin à sa vie de pêcheur, mais il pensait que comme les fleurs fleurissaient si vivement, ça ne ferait pas une mauvaise tombe.

     

    Il se coucha dans ce cercueil à ciel ouvert, et regarda les fleurs nocturnes dériver sans bruit alors qu'elles flétrissaient. Flottant dans son cercueil, passant sur ses joues, dansant et volant comme le passé qui s'étiolait.
    Dans cette vie, du fils bâtard qui ne possédait rien, il devint après d'innombrables rencontres, le seul éminent Seigneur Empereur du monde mortel. Il avait blasphémé et ses mains étaient couvertes de sang. De tout ce qu'il aimait, de ce qu'il détestait, de ce pour quoi il priait, de ce qu'il ressentait, finalement, il ne restait rien.

     

    En fin de compte, il ne s'était même pas écrit un épitaphe de sa confiante et sauvage écriture. Que ce soit un éhonté "Empereur de l'ère" ou une chose ridicule comme "Frite" ou "Fumée", il n'avait rien écrit. Il n'y aurait au final aucun mot sur la tombe du premier empereur du monde de la cultivation.
    Le spectacle qui avait duré toute une décennie avait finalement baissé ses rideaux.

     

    De nombreuses heures plus tard, la foule armée de torches envahit le palais de l'empereur comme un serpent de feu. Cependant, ce qu'ils trouvèrent fut un Palais Wushan vide, un Pic Sisheng sans âme et Xue Meng, engourdi par les pleurs, prosterné sur un sol envahi de cendres au pavillon du Lotus Rouge. Et devant la Tour Perce-Neige, le cadavre froid de Mo Weiyu.

     

     

    Note de bas de page : 

    1 - Le mot chinois "Wang Ba" est une insulte chinoise qui remonte à la dynastie des Song. Elle est traduite littéralement par "tortue", mais elle a une nuance plus offensive. Tout comme les tortues sont lentes, il s'agit en fait de qualifier quelqu'un de lent à la détente, au point qu'il ne se rendrait pas compte que son conjoint le trompait, même s'il le voyait.

     

    2 - Le texte original est un jeu de mots avec l'argot pour bite, pénis, queue : "A Ba". Les mots "Cessez la bataille" et "Bite" ont la même prononciation.

     

    3 - Le texte original a rajouté un jeu de mot avec "Yuan" au jeu de mot sur les bites. "Yuan", caractères différents, même prononciation, signifient tout autant "La première" que "Couille". Ce qui donne "l'année des bites et des couilles" ou "la première année de Cessez la bataille"

     

    4 -  Le titre Zongshi désigne un grand érudit respecté pour son savoir et son intégrité.

     

    5 -  Le texte original est un jeu de mot sur la prononciation de "Noble et Chaste", qui sonne pareil que "Fumée".

     

    6 - Art de manipuler le Qi pour être en apesanteur et léger sur ses pieds.

     

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